CORTISOL, PRODUCTION ET ROBUSTESSE
Cortisol et caractères de production
Le cortisol a des effets complexes sur les caractères d’intérêt chez les animaux d’élevage. Il exerce une influence négative sur d’importants caractères de production. Dans des travaux pionniers des années 1980, Hennessy et collaborateurs ont montré chez le Porc que la réponse de la glande surrénale à l’ACTH était une caractéristique individuelle héritable (Hennessy et al. 1988), et que la vitesse de croissance et l’efficacité alimentaire des animaux étaient inversement proportionnelles à l’intensité de cette réponse (Hennessy & Jackson, 1987). Des résultats identiques ont été obtenus chez le mouton, la consommation alimentaire résiduelle, définie par la différence entre la consommation moyenne journalière (CMJ) observée et une CMJ théorique, estimée à partir des besoins d’entretien et de production, étant directement proportionnelle à la sensibilité de la glande surrénale à l’ACTH (Knott et al. 2008). Plusieurs expériences montrent par ailleurs que la composition de carcasse (rapport gras / maigre) est influencée par le niveau de production de cortisol, ainsi qu’on peut le mesurer par les niveaux d’excrétion dans l’urine par exemple. Une activité élevée de l’axe corticotrope induit une forte adiposité des carcasses (Foury et al. 2005 & 2007). Ceci est cohérent avec les effets métaboliques du cortisol qui augmente le stockage lipidique au détriment des tissus protéiques (Devenport et al. 1989).
Cortisol et robustesse
Par contre, le cortisol exerce des effets favorables sur plusieurs caractères de robustesse, même si les arguments expérimentaux sont encore fragmentaires chez les animaux d’élevage. C’est ainsi que le cortisol favorise les processus d’adaptation. Dans le cas du stress thermique par exemple, Michel et collaborateurs ont montré chez le Rat que les animaux dont la réponse de l’axe corticotrope à la chaleur était la plus forte présentaient aussi la meilleure adaptation physiologique en terme d’augmentation de la température centrale, d’hémoconcentration et de réponse inflammatoire dans le cerveau (Michel et al. 2006). Un autre exemple des effets favorables du cortisol est fourni par les travaux réalisés sur la survie des porcelets. Leenhouwers et al. (2002) ont montré que les caractéristiques génétiques du nouveau-né influençaient sa propre survie. Dans ce travail, les seuls facteurs biologiques corrélés (positivement) à la valeur génétique du nouveau-né étaient la taille des surrénales et la concentration de cortisol dans le sang du cordon à la naissance, associées à des réserves de glycogène plus élevées dans le foie (effet gluconéogénétique du cortisol). Finalement, il existe quelques données chez les volailles montrant que la sélection génétique divergente (qui sélectionne les phénotypes extrêmes au cours des générations successives) pour l’intensité de la réponse au stress influence – de façon complexe – les réponses immunitaires et la résistance aux maladies, en particulier la résistance aux parasites (voir par exemple Gross 1976). Ces différences reflètent les actions des hormones glucocorticoïdes sur le système immunitaire et les processus inflammatoires. Considérant les perspectives telles que le réchauffement climatique (stress thermique), l’évolution des systèmes d’élevage vers une diminution de l’intervention de l’Homme (survie du nouveau-né), la régression de l’élevage hors sol (résistance aux infestations parasitaires), il est important d’approfondir les effets des glucocorticoïdes sur ces caractères de robustesse chez les animaux d’élevage.
Le cortisol au cœur du compromis entre production et robustesse
Chez le porc Large White, la comparaison des produits issus de verrats nés en 1977 (semence congelée) ou 1998 nous a permis de montrer qu’il y a eu au cours de ces années une diminution de la production de cortisol, parallèlement au progrès génétique réalisé sur les critères de sélection pour une croissance rapide, une efficacité alimentaire élevée et des carcasses plus maigres (Foury et al. 2009). Ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où le cortisol impacte de façon négative ces caractères de production. Cependant, on peut faire l’hypothèse que cette diminution d’activité de l’axe corticotrope participe à la diminution de la robustesse des animaux qui est souvent invoquée (Rauw et al. 1998 ; Star et al. 2008) comme conséquence de la sélection génétique menée exclusivement sur les caractères de production, dans le cadre de la théorie de l’allocation des ressources (Glazier 2009). Cette théorie stipule que les ressources énergétiques disponibles pour un individu sont limitées. Leur répartition entre les différentes fonctions est optimisée dans le cadre d’une adaptation optimale de l’individu à son environnement (fitness), mais une sélection génétique intense sur des critères de production peut orienter les ressources vers cette production au détriment d’autres caractères comme ceux participant à la robustesse des animaux, et ceci en particulier lorsque les ressources sont insuffisantes pour que s’exprime au maximum le potentiel génétique. L’axe corticotrope pourrait ainsi être l’un des mécanismes physiologiques du compromis (trade off) entre caractères de production et de robustesse. Une stratégie pour restaurer la robustesse des animaux serait donc d’augmenter l’activité de l’axe corticotrope, sans pour autant réduire la productivité des animaux. Cet objectif paraît accessible. En effet, la variabilité fonctionnelle de l’axe corticotrope est importante, même dans des populations génétiquement homogènes. A l’intérieur des races que nous avons étudiées, la variation de la cortisolurie entre les animaux extrêmes est couramment de 30 fois, ce qui est considérablement plus élevé que la variabilité des caractères de production (Foury et al. 2009). Dans l’expérience de ‘progrès génétique’ décrite ci-dessus, le coefficient de corrélation entre cortisolurie et composition de la carcasse en viande maigre était de -0,27, ce qui signifie que le niveau d’excrétion du cortisol explique moins de 10% de la variabilité de la composition de carcasse. Il est donc envisageable de sélectionner des animaux sur la base de d’une activité plus élevée de l’axe corticotrope tout en préservant le niveau de production.