Les mécanismes biologiques

Les premiers travaux se sont intéressés aux mécanismes biologiques responsables du maintien de l’homéostasie. Ainsi, Walter Cannon a particulièrement étudié la participation du système nerveux sympathique qui joue un rôle de premier plan par l’intermédiaire de ses actions sur le système cardiovasculaire, les fonctions de respiration, la mobilisation énergétique, et ses nombreux autres effets physiologiques. I wish to try to make clear that it is the peculiar function of the sympatho-adrenal mechanism to preserve and assure a homeostatic condition in the internal environment’. Dans cet article de synthèse, publié en 1935 et qui porte le titre évocateur ‘Stresses and Strains of Homeostasis’, Walter Cannon montre à l’aide de quelques exemples que la réponse sympatho-surrénalienne est adaptée au stimulus qui en est à l’origine. C’est ainsi que le froid active préférentiellement le système noradrénergique, vasoconstricteur et responsable de la production de chaleur au niveau du tissu adipeux brun, alors que la baisse des concentrations circulantes de glucose active préférentiellement le système médullo-surrénalien avec libération de l’adrénaline hyperglycémiante. Par contre, lorsque l’intensité du stress augmente, la contrainte exercée sur les mécanismes homéostatiques devient excessive et il apparaît des effets secondaires, sans rapport immédiat avec le stimulus initial, et qui traduisent une généralisation non spécifique de la réponse de l’organisme. [In these conditions,] ‘the stress might be regarded as becoming excessive or critical, i.e., inducing a breaking strain in the homeostatic mechanisms’. Une telle mobilisation générale du système nerveux sympathique s’observe lors d’une stimulation importante de nature émotionnelle. ‘Quand, par exemple, un chat est effrayé, les pupilles se dilatent, l’estomac et l’intestin sont inhibés, le coeur bat rapidement, les poils du dos et de la queue sont dressés - tous signes de décharge nerveuse des voies sympathiques’. La sécrétion médullosurrénalienne d’adrénaline est également stimulée lorsque notre greffier est exposé à un chien qui aboie (Cannon et de la Paz, 1911). Il s’ensuit une mobilisation énergétique qui prépare l’organisme à l’action, la lutte ou la fuite (‘fight/flight reaction’). Cette réponse est connue sous le terme de réaction d’alarme.

Au département de Biochimie de l’Université McGill de Montréal, dans les années 30, Hans Selye recherchait une nouvelle hormone dans l’ovaire. Quelle que soit l’origine tissulaire des extraits impurs qu’il administre à des rats (ovaire, rein, rate), il observe toujours à l’autopsie les mêmes modifications non spécifiques : augmentation de la taille des surrénales, petites glandes localisées au devant des reins, atrophie du thymus et des nodules lymphatiques, ulcérations gastroduodénales. Cette triade symptomatique est reproduite par l’administration de toxines ou l’exposition au froid (Selye, 1936). Elle n’est donc pas caractéristique d’un agent particulier mais constitue un syndrome non spécifique baptisé ultérieurement Syndrome Général d’Adaptation ou syndrome biologique de stress. Ainsi, Selye a défini le stress comme ‘la réponse non spécifique de l’organisme à toute demande qui lui est faite’, l’agent agresseur lui-même étant qualifié d’agent stressant (stressor) (Selye, 1973). Est considéré comme agent stressant tout stimulus qui mobilise les capacités d’adaptation de l’organisme, quelle qu’en soit la nature et les conséquences, positives ou négatives sur l’organisme. A côté des réponses spécifiques, en rapport direct avec la nature du stimulus, le stress est assimilé à la mobilisation d’une sorte d’énergie vitale, tout comme ‘les radiateurs, les réfrigérateurs, les sonnettes et les lampes, qui produisent respectivement de la chaleur, du froid, du bruit, et de la lumière de façon tout à fait spécifique, dépendent cependant pour leur fonctionnement d’un unique facteur commun, l’électricité’.

La phase initiale du syndrome général d’adaptation ou réaction d’alarme, est un ‘appel aux armes’ des forces défensives de l’organisme. Si le stimulus se maintient, cette réaction initiale est suivie d’une phase de résistance, jusqu’à ce que toute ‘l’énergie d’adaptation’ de l’organisme soit consommée (phase d’épuisement). Ce syndrome non spécifique résulte de la mobilisation du système nerveux autonome, mais surtout de la mise en jeu d’un système neuroendocrinien particulier, l’axe corticotrope, auquel appartiennent les glandes surrénales dont la partie corticale sécrète les hormones corticoïdes sous le contrôle de l’hypophyse et de l’hypothalamus. Ainsi a-t-on considéré comme stress tout ce qui provoque une activation de l’axe corticotrope, mesurée par l’élévation des concentrations plasmatiques d’hormones corticoïdes. Nous verrons ultérieurement que cette assimilation est abusive, non seulement parce que de larges variations d’activité de l’axe corticotrope sont observées dans des conditions tout à fait physiologiques, mais aussi parce qu’il peut y avoir des stimulations de l’environnement qui ne mobilisent pas l’axe corticotrope.

En plus, selon Selye, ‘le stress n’est pas quelque chose à éviter. En fait, il est évident d’après la définition donnée ci-dessus, qu’il ne peut pas être évité ; peu importe ce que vous faites ou ce qui vous arrive, il y a toujours une demande pour fournir l’énergie nécessaire à la réalisation des tâches nécessaires au maintien de la vie et pour résister et s’adapter aux influences variables de milieu. ... La liberté complète vis à vis du stress est la mort’ (Selye, 1973). D’où le titre évocateur de l’ouvrage le plus connu de Selye, ‘Le Stress de la Vie’ (1956). Pour faire référence aux conséquences négatives des processus d’adaptation, Selye a eu recours au concept de détresse, dont le terme anglais ‘distress’ est plus évocateur dans ce contexte. Le débat se poursuit tout au long de l’histoire du stress pour savoir si le terme peut être employé pour les processus d’ajustement ordinaire, et il recouvrirait dans ce cas l’ensemble des processus physiologiques, ou si son usage doit être réservé aux situations plus extrêmes qui mobilisent de façon plus générale et non spécifique les capacités d’ajustement de l’organisme. Le terme d’adaptation sera utilisé pour l’ajustement ordinaire et le terme de stress sera réservé aux situations extrêmes où l’adaptation est en risque de rupture. Il est clair cependant qu’il existe un continuum dans les réponses de l’organisme en fonction de l’intensité du stimulus, et que cette discussion est largement académique, même si elle représente encore une part importante de toutes les réunions et de tous les ouvrages sur le sujet.