Bien-être animal : le bonheur est-il dans le pré ?

Résumé de la conférence présentée le 17 février 2011 au colloque sur les controverses de l’élevage ‘Elevage et Société : un divorce amorcé ?’ par les élèves ingénieurs zootechniciens de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse.

 

 

Cette façon de poser la question du bien-être animal – le bonheur est-il dans le pré ? - témoigne bien de la double évolution de la place des animaux dans notre société.

D’un côté l’élevage a évolué vers une rentabilisation maximale qui résulte à la fois d’une évolution des conditions environnementales (contrôle maximum de l’environnement par généralisation de l’élevage en claustration, diminution des coûts par augmentation des densités et appauvrissement du milieu, réduction des interventions humaines pour limiter les coûts de main-d’œuvre, nombreuses interventions de convenance telles que écornage, castration, coupe de queue, épointage du bec et des dents) et d’une évolution génétique sur les caractéristiques zootechniques, le niveau de production (croissance, lait, oeufs), l’efficacité alimentaire, la qualité des produits (carcasses maigres). Cette sélection génétique intense s’est traduite par une diminution progressive de robustesse du fait d’une allocation préférentielle des ressources vers les caractères de production aux dépens des caractères d’adaptation, mais aussi parce que ce n’est que récemment que les caractères fonctionnels qui ont un rôle important pour le bien-être des animaux (par exemple la résistance aux maladies, la qualité des aplombs, les possibilités de vie en groupe, la survie des nouveaux-nés) ont été pris en compte dans les critères de sélection.

 

 

Pendant ce temps, le statut des animaux et leur place dans la société ont considérablement évolué, ainsi qu’en témoigne la législation nationale et européenne :

          Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, Chapitre II : De la protection de l'animal. ‘Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.’ (Art L.214-1 du code rural). ‘Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité.’ (Art L.214-3)

          Décision 78/923/CEE du Conseil de l’Europe, du 19 juin 1978, concernant la conclusion de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages.

          Union Européenne, Traité d’Amsterdam (1997) : Protocole sur la protection et le bien-être des animaux. LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, DÉSIREUSES d'assurer une plus grande protection et un meilleur respect du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, SONT CONVENUES des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité instituant la Communauté européenne: Lorsqu'ils formulent et mettent en œuvre la politique communautaire dans les domaines de l'agriculture, des transports, du marché intérieur et de la recherche, la Communauté et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux.

Cette évolution résulte de multiples changements dans la société : diminution de la tolérance à la douleur et au mal-être, éloignement des citoyens de la réalité de l’élevage, interrogations sur les systèmes de production qui ont perdu en visibilité, multiplication des porteurs d’enjeu intervenant dans le débat.

 

 

Le premier point important pour répondre à la question posée – ou au moins pour pouvoir  en débattre – est de savoir ce que l’on entend par ‘bien-être animal’. Le bien-être d’un individu correspond à la qualité de vie telle qu’il la perçoit. Il fait référence à l’état psychologique subjectif de l’individu par rapport à son environnement interne et externe. C’est un concept multidimensionnel en rapport avec la santé physique et mentale, un environnement satisfaisant besoins et motivations, ainsi que l’absence de souffrance et la présence d’émotions positives.

La plupart des chercheurs dans le domaine acceptent pour référence les ‘Cinq libertés’ ou ‘Five Freedoms’ énoncées par le Farm Animal Welfare Committee britannique (1979) suite aux travaux de la Commission Brambell (Report of the Technical Committee to Enquire into the Welfare of Animals kept under Intensive Livestock Husbandry Systems, 1965).

          absence de faim et de soif, grâce à un abreuvement et une alimentation assurant la santé et la vigueur – c’est la composante physiologique

          confort physique, grâce à un logement approprié (dont un abri et une aire de couchage confortable) – c’est la composante environnementale

          absence de blessure, douleur et maladie, grâce à la prévention ou le diagnostic rapide puis le traitement des animaux atteints – c’est la composante sanitaire

          possibilité d’exprimer le comportement de l’espèce, grâce à un espace suffisant, des installations adaptées et la compagnie d’autres animaux de l’espèce – c’est la composante comportementale

          absence de peur et de détresse, grâce à des conditions de vie et des manipulations évitant la souffrance mentale – c’est la composante psychologique

 

Sur la base de ces principes, de nombreux textes réglementaires ont été élaborés qui se fondent sur de nombreux rapports scientifiques, qui sont colligés en particulier par le groupe ‘Santé et Bien-être des Animaux’ de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments. Les tendances actuelles sont :

          Plus de surface par animal

          Interactions possible entre animaux (logement collectif)

          Plus de liberté de mouvements (pas d’attache, pas de muselière)

          Enrichissement de l’espace (poules : cages améliorées, porcs : matériaux à manipuler)

          Alimentation plus conforme aux besoins physiologiques et comportementaux (veaux : aliments solides, truies : fibres)

          Limitation des pratiques douloureuses (caudectomie, castration, épointages des dents, débecquage)

 

 

Cependant, même si il est important de définir les normes de base d’élevage des animaux afin de respecter leur bien-être (moyens mis en œuvre), il est tout aussi utile de disposer d’une échelle d’évaluation obtenue auprès des animaux eux-mêmes puisque, rappelons-le, le bien-être d’un individu correspond à la qualité de vie telle qu’il la perçoit (résultats obtenus). Pour jeter les bases de cette évaluation intégrée du bien-être des animaux, le projet européen Welfare Quality© a élaboré des protocoles pour les bovins, les porcs et les volailles.

Le protocole est basé sur quatre principes fondamentaux, l’alimentation et le logement corrects, une bonne santé et des comportements appropriés, eux-mêmes déclinés en 12 critères dont le niveau est apprécié à partir d’une trentaine de mesures qui évaluent la qualité de l’environnement ainsi que l’état physique et comportemental des animaux (exemple : état d’engraissement, lésions et blessures, boiteries, propreté, comportement de couchage, comportements sociaux, réactions vis-à-vis des hommes).

 

 

 

L’intégration des scores obtenus pour chacune de ces mesures en un indice global n’est pas sans poser de problèmes. Faut-il par exemple donner une note moyenne à une exploitation pour une mesure ou tenir compte des extrêmes ? Peut-il y avoir compensation entre critères ? Par exemple, est-ce qu’une alimentation de qualité peut pallier à un abreuvement déficient ? Comment intégrer les notes obtenues par une exploitation pour chacun des quatre principes en un score global ? Doit-on évaluer les fermes dans l’absolu (en fonction de niveaux d’aspiration théoriques) ou au contraire tenir compte de ce qui est réalisable sur le terrain (approche pragmatique) ? Le modèle a été paramétré selon les avis d’experts en sciences animales et sociales, et des acteurs des filières, puis par des jurys citoyens et une analyse éthique à posteriori, et il devra probablement évoluer encore dans le futur. Il en résulte une classification des établissements en quatre catégories, un niveau Excellent qui peut correspondre à un marché de niche, un niveau Amélioré qui correspond à de bonnes pratiques et qui pourrait être utilisé dans un label général, un niveau Acceptable, insuffisant pour être labellisé et un niveau dit Non classé de bien-être très faible.

 

 

Ce type d’évaluation peut être utilisé à des fins diverses. Il fournit aux acteurs (élevages, abattoirs) une analyse fine de l’état de leur exploitation vis-à-vis du bien-être des animaux avec un diagnostic précis des points à améliorer et une grille d’évaluation des progrès accomplis. Il peut aussi être utilisé comme procédure standardisée pour l’évaluation des exploitations dans le cadre des règlements ou dans les démarches de certification.

 

Pour conclure, on peut identifier quelques thèmes pour la discussion :

          Pourquoi n’a-t’il pas été répondu à la question posée, ‘Le bonheur est-il dans le pré’ ?

          Le bien-être animal est-il question de système d’élevage ?

          Quel animal pour quel environnement, le rôle de la génétique dans le bien-être animal et l’interaction génétique-environnement, la notion de robustesse ?

          La question des douleurs animales et la règle des 3S – Supprimer, Substituer, Soulager.

          La multiplicité des porteurs d’enjeux.

          La question du bien-être animal dans le contexte de l’élevage durable.

 

 

REMERCIEMENTS à Isabelle Veissier (INRA, Theix) pour les diapositives relatives au projet Welfare Quality©.