De la physiologie de l’adaptation au bien-être, exemple du sevrage précoce du porcelet

Les données obtenues récemment dans l’étude de la réponse des porcelets au sevrage précoce illustrent divers aspects de l’utilisation des paramètres physiologiques pour évaluer leur bien-être. La sélection de truies hyperprolifiques se traduit parfois par un nombre excessif de porcelets qui peuvent être sauvés, quand ils ne peuvent être adoptés par d’autres truies allaitantes, par un sevrage précoce à 5 jours, après ingestion du colostrum. La question est ouverte de savoir si cette pratique est acceptable en termes de bien-être de ces jeunes animaux qui ne sont pas préparés à ingérer de la nourriture solide avant la 3ème ou 4ème semaine, quand le porcelet reste sous la mère. De fait, un tel sevrage précoce induit un retard de croissance persistant, dû principalement à un jeûne complet pendant les deux premiers jours après le sevrage suivi d’un démarrage progressif de l’alimentation solide. Le cortisol et les catécholamines ont été dosés dans l’urine recueillie avant et pendant plusieurs jours après le sevrage (Hay et al. 2001). Le cortisol urinaire était augmenté le lendemain du sevrage mais de retour aux valeurs mesurées chez les animaux témoins sous la mère dès le 5ème jour après le sevrage. Une telle activation transitoire de l’axe corticotrope par le sevrage a été montrée dans plusieurs études par la mesure des taux circulants. Comme cette activation n’est que de courte durée, ce résultat tendrait à montrer que le sevrage précoce n’induit pas une contrainte particulièrement forte chez le jeune porcelet. Cependant, la mesure des catécholamines urinaires donne un schéma très différent. Le sevrage précoce induit une chute profonde et immédiate des niveaux de noradrénaline, qui ne retournent pas au niveau témoin avant la fin de la 2ème semaine après sevrage, ainsi qu’une chute retardée (mesurable le 9ème jour après sevrage) mais durable des niveaux d’adrénaline.

L’interprétation de ces résultats doit se référer aux effets métaboliques des catécholamines. La noradrénaline produit de la chaleur en mobilisant les réserves lipidiques. Le système noradrénergique est donc activé au froid pour maintenir la température centrale, ainsi que pour brûler les excès d’ingérés caloriques afin de maintenir constant le poids corporel. Le mécanisme inverse est mis en jeu lors d’un déficit énergétique tel que produit, dans le cas présent, par une diminution de l’ingestion alimentaire. La mise en veille du système noradrénergique permet d’économiser l’énergie métabolique qui fait défaut (Stefanovic, Bayley et Slinger, 1970). De fait, la chute de production d’énergie métabolique est compensée par une thermorégulation comportementale qui se manifeste par l’augmentation du nombre des porcelets sous la lampe à infrarouges (Orgeur et al., 2001). L’adrénaline, quant à elle, est principalement mise en jeu pour mobiliser les réserves glucidiques. Bien que cette interprétation reste à vérifier expérimentalement, on peut penser que sa sécrétion se maintient pendant quelques jours après le sevrage, tant qu’il reste des réserves à mobiliser, puis sa sécrétion décline car ses effets cataboliques deviennent préjudiciables.

Quelles conclusions peut-on tirer de ce travail sur les approches physiologiques  de la réponse adaptative et au-delà, du bien-être animal ?

-       Tout d’abord, la réponse physiologique d’adaptation est multidimensionnelle. L’intensité et la cinétique de la réponse du cortisol, de l’adrénaline et de la noradrénaline sont très différentes et il faut donc obtenir une information la plus large possible pour avoir une vision correcte des processus en jeu. L’intensité de la réponse du système nerveux sympathique montre bien que les conséquences fonctionnelles du sevrage précoce sont profondes et durables, alors même que l’activité corticotrope est retournée à son niveau de contrôle. Le dosage des hormones dans l’urine permet d’appréhender les différentes dimensions de la réponse adaptative.

-       Ensuite, les variations observées au niveau du fonctionnement des systèmes neuroendocriniens doivent être interprétées dans le cadre de leurs actions physiologiques, et il n’est pas inutile de rappeler ici que ces systèmes sont avant tout en charge des régulations métaboliques et qu’ils sont donc sensibles à toutes influences mettant en jeu des ajustements de flux d’énergie (activité physique, conditions d’environnement, facteurs nutritionnels par exemple), et pas seulement aux stimulations de nature émotionnelle.

-       Ce travail montre aussi l’intérêt de mener des études associant les approches physiologiques et comportementales. La confrontation des résultats de ces deux grandes modalités de la réponse adaptative permet de mieux comprendre l’ensemble du processus.

-       Finalement, si les études physiologiques peuvent attester de la réalité, de l’intensité et de la durée de la réponse au sevrage précoce, son acceptabilité en termes de bien-être des porcelets reste très largement hors du champ de la biologie. Le physiologiste peut tout au plus apporter des aides à la décision.