Variabilité génétique de l’axe corticotrope chez le Porc : mécanismes moléculaires et conséquence sur la production de viande

Par Pierre MORMEDE

(mémoire présenté à l’Académie Vétérinaire de France le 8 février 2007)

 

Résumé

Le cortisol libéré par le cortex des glandes surrénales sous contrôle de l’ACTH a une activité glucocorticoïde qui se traduit par un catabolisme périphérique, en particulier des protéines tissulaires et une néosynthèse hépatique de protéines et de glucides (néoglucogenèse). Une forte activité corticotrope se traduit globalement par une augmentation de l’adiposité au détriment des protéines. Il existe une grande variabilité génétique dans le fonctionnement de l’axe corticotrope à différents niveaux, quantité de cortisol sécrété (principalement dépendant de la sensibilité du cortex surrénalien à l’ACTH), biodisponiblité de l’hormone et action tissulaire dépendant de l’efficacité des récepteurs et de leurs voies de signalisation. Cet article décrit la variabilité de la production de cortisol chez le Porc et sa relation avec l’adiposité des animaux et la qualité de la viande. Dans une deuxième partie, sont exposées les différentes approches utilisées pour trouver les gènes dont les polymorphismes expliquent cette variabilité génétique. Ceux-ci pourront être utilisés pour la sélection des animaux dont le phénotype corticotrope sera optimisé par rapport aux objectifs de production.

 

Mots-clés : axe corticotrope, cortisol, génétique, obésité, composition de carcasse, qualité de viande, QTL, génomique, génétique des systèmes, porc.

 

Genetic variability of HPA axis function in pigs: molecular mechanisms and consequences on meat production

Summary

Cortisol, released by the adrenal cortex in response to the pituitary hormone ACTH, is a typical glucocorticoid hormone, i.e.  it induces peripheral catabolism, particularly of tissue proteins  and stimulates the synthesis of glycogen (neoglucogenesis) in the liver. Therefore, high HPA (hypothalamic-pituitary-adrenocortical) axis activity increases fat deposition at the expense of tissue proteins. The HPA axis activity is subject to a wide genetic variability affecting its different levels of organisation, the amount of cortisol secreted (mainly dependent upon the adrenal cortex sensitivity to ACTH), its bioavailability (transport and metabolic processes), and its tissue action based on the efficacy of the receptors and their signalling pathways.  This paper illustrates the genetic variability of cortisol production in pigs and its relationships with adiposity and meat quality. In a second part, we describe the different approaches used to identify the genes whose polymorphisms explains this genetic variability. These polymorphisms may be used to select animals with an optimal corticotrophic phenotype based on production objectives.

 

Key words: HPA axis, cortisol, genetics, obesity, carcass composition, meat quality, QTL, genomics, systems genetics, pig.

 

INTRODUCTION : AXE CORTICOTROPE, ADIPOSITÉ, GÉNÉTIQUE


Le cortisol est une hormone élaborée et sécrétée par le cortex surrénalien sous contrôle de l’ACTH libérée par l’antéhypophyse, elle-même sous influence du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus (Mormède, 1995). L’ensemble constitue le système hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien ou axe corticotrope. Le cortisol est une hormone glucocorticoïde du fait de son activité sur le métabolisme glucidique, mais ses activités biologiques sont très nombreuses. Il induit un catabolisme périphérique (en particulier protéique) et un anabolisme hépatique (en particulier néoglucogenèse). En plus, il inhibe l’entrée du glucose dans les cellules, ce qui se traduit par une hyperglycémie qui, en présence d’insuline, favorise l’accumulation lipidique dans le tissu adipeux. Cette action lipogénique se complète d’actions périphériques directes sur le tissus adipeux (différentiation des pré-adipocytes) et d’actions centrales sur le comportement alimentaire et la régulation du système nerveux sympathique. Il en résulte une modification de la composition corporelle en faveur du tissu adipeux aux dépens de la masse protéique (Devenport et al. 1989), qui va à l’encontre des objectifs de production animale.

Le fonctionnement de l’axe corticotrope est très variable selon les individus, et il a été montré qu’une partie de cette variabilité est d’origine génétique. Il est donc envisageable d’utiliser cette variabilité dans le cadre de la sélection, en particulier avec l’avènement des nouvelles techniques de sélection qui, utilisant des marqueurs moléculaires, permettent de ne conserver que les allèles favorables d’un gène influençant les caractéristiques de production (Milan 2005). Il faut alors définir un objectif de sélection et disposer des marqueurs moléculaires permettant de l’atteindre. Dans cette communication, nous présenterons d’abord des résultats expérimentaux récents montrant l’existence, chez le Porc, d’une large variabilité génétique du fonctionnement de l’axe corticotrope et ses rapports avec la composition de carcasse ; dans une deuxième partie nous expliquerons les principales stratégies de recherche des polymorphismes moléculaires responsables de cette variabilité.

 

PRODUCTION DE CORTISOL ET ADIPOSITÉ CHEZ LE PORC


Variations entre races

Dans le cadre d’un projet européen visant à étudier les aspects moléculaires de la variation de la qualité de la viande, nous avons étudié le fonctionnement de l’axe corticotrope chez des animaux de lignées issues de cinq races qui jouent un rôle de premier plan dans la production porcine : Piétrain, Large White, Landrace, Duroc et Meishan (classés par ordre d’adiposité croissante). Nous ne retiendrons ici que les données pertinentes pour notre propos. Des comptes-rendus plus complets ont été publiés (Mormède et al. 2004 ; Plastow et al. 2005).  Les animaux (99-101 femelles par lignée, moyenne de 193 jours d’âge et 109,4 kg de poids vif) ont été transportés (pendant environ 10 heures) de leur site d’élevage dans le département des Landes à un abattoir expérimental situé à Monells (Espagne). L’abattage a eu lieu le lendemain matin. De l’urine a été récoltée lors de mictions spontanées i) dans l’élevage le matin, pendant la semaine qui précède l’abattage pour mesurer les concentrations de base de cortisol, ii) à l’arrivée des animaux sur le site d’abattage pour étudier la réponse au transport, iii) et le lendemain matin avant l’abattage. La concentration de cortisol dans l’urine, représentative du niveau de production, a été mesurée par HPLC après extraction sur colonnes hydrophobes comme décrit (Plastow et al. 2005). Les concentrations de cortisol sont exprimées par rapport à la concentration de créatinine pour tenir compte de la dilution variable de l’urine selon les quantités d’eau absorbées.

Figure 1 : Concentrations de cortisol dans l’urine prélevée le matin en élevage (base), à l’arrivée à l’abattoir après 10 h de transport, et le lendemain matin (6h30-7h00) avant abattage (PI = Piétrain, LW = Large White, LD = Landrace, DU = Duroc, MS = Meishan). Les lettres différentes au dessus des colonnes représentant les valeurs mesurées au même temps de prélèvement indiquent une différence significative entre types génétiques (P<0,05). Les étoiles indiquent pour chaque type génétique la différence entre les valeurs mesurées après transport ou le lendemain matin, par rapport aux valeurs de base  ns = non significatif, * P < 0,05 ; ** P < 0,01 ; *** P < 0,001).

 

Les cinq races étudiées représentent une large gamme de composition de carcasse, depuis le porc de Piétrain très maigre et musculeux (60,1% de viande maigre ; 12,3 mm d’épaisseur de lard) jusqu’au type Meishan très gras et à la musculature réduite (40,0% ; 22,8 mm). Une même variabilité a été observée dans les concentrations urinaires de cortisol (figure 1). En situation de base, la concentration urinaire de cortisol est la plus faible chez le Large White (8,30 ng/mg créatinine) et la plus élevée chez le Meishan (20,32 ng/mg créatinine). Après transport, les concentrations sont largement augmentées (+278%), sans interaction significative avec le type génétique (en échelle logarithmique), ce qui suggère que le stress de transport augmente la production de cortisol de façon proportionnelle à la production mesurée au repos.

Il est intéressant de constater, qu’en dehors du porc de Piétrain, la covariation entre la production de cortisol (en situation de base ou après stress de transport) et l’adiposité reflète bien les effets physiologiques du cortisol. Le contraste observé chez le porc de Piétrain entre une adiposité très faible en dépit d’une production relativement élevée de cortisol suggère que les effets physiologiques du cortisol ne s’exercent pas pleinement, comme on pourrait l’observer, par exemple, en cas d’efficacité réduite du récepteur aux corticostéroïdes et/ou de ses voies de transduction. A l’intérieur de chaque race, d’importantes variations sont également observées et une corrélation entre production de base de cortisol et adiposité a pu être mise en évidence chez le Large White (r = -0.21, P < 0.05),  le Landrace (r = -0.25, P < 0.05) et le Meishan (r = -0.26, P < 0.05), alors qu’elle est absente chez le porc de Piétrain (r = 0.03, P > 0.05) et le Duroc (r = -0.05, P > 0.05). Ces résultats suggèrent que la variation d’activité de l’axe corticotrope est d’origine génétique, les animaux ayant tous été élevés dans le même environnement, et qu’elle pourrait avoir des conséquences sur la composition de carcasse.

 

Etude d’une population ségrégeante

Le but de cette étude était d’évaluer les liens génétiques entre la qualité de la viande, les performances zootechniques et les caractéristiques neuroendocriniennes de réponse au stress, chez des porcs issus d’un croisement ségrégeant F2 Duroc x Large White (Foury et al. 2005). L’intérêt de ce croisement, qui aboutit à un lot de porcs présentant de manière continue l’ensemble des phénotypes possibles intermédiaires entre les deux races pures, est d’observer les corrélations phénotypiques entre certains caractères, qui pourraient suggérer une origine génétique commune.

Nous avons dosé dans les urines de 314 porcs (femelles et mâles castrés), prélevées à l’abattoir, les concentrations en cortisol et catécholamines (adrénaline et noradrénaline). Chez ces mêmes animaux, différents critères de qualité ont été mesurés : pH ultime du muscle adducteur (pH24), taux de lipides intramusculaires (LIM), épaisseur de lard (EL) et taux de viande maigre (TVM).

Tableau 1 : Corrélations entre hormones urinaires, composition corporelle et qualité de la viande mesurées chez 312 porcs F2 Duroc x Large White (Foury et al. 2005). AD = adrénaline, NA = noradrénaline, pH24 = pH ultime (mesuré 24 heures après l’abattage) de l’adductor femoris, TVM = taux de viande maigre, LIM = quantité de lipides intramusculaires.

*** P<0.001, * P<0.05.

Les résultats présentés dans le tableau 1 montrent quelques caractéristiques intéressantes :

-       la corrélation entre adrénaline et noradrénaline montre que les deux composantes du système nerveux autonome sont activées ensemble, mais la corrélation préférentielle entre cortisol et adrénaline (faible avec la noradrénaline) reflète le contrôle de l’enzyme PNMT (qui génère l’adrénaline à partir de la noradrénaline) par le cortisol ;

-       les niveaux de catécholamines sont corrélés positivement avec le pH de la viande mesuré 24 heures après l’abattage. L’activation sympathique avant l’abattage augmente la glycogénolyse musculaire et ainsi réduit la production d’acide lactique post-mortem (lequel est responsable de l’acidification de la viande) ;

-       les niveaux de cortisol sont corrélés positivement avec les mesures d’adiposité. Cette corrélation reflète les effets métaboliques du cortisol qui favorise l’accumulation de graisse aux dépens des protéines du muscle et d’autres tissus. La corrélation entre adrénaline et adiposité résulte probablement de sa corrélation avec la sécrétion de cortisol ;

-       l’absence de corrélation entre les concentrations hormonales urinaires et le niveau des lipides intramusculaires montre que ce compartiment métabolique est au moins partiellement soumis à une régulation différente de celle des autres tissus adipeux.

Ces résultats, obtenus sur une population ségrégeante, renforcent l’hypothèse d’une relation génétique entre la production de cortisol et l’adiposité ; ils justifient la recherche des mécanismes moléculaires responsables de cette variabilité, dans le but de réaliser une sélection génétique des phénotypes favorables, grâce aux marqueurs moléculaires.

 

RECHERCHE DES MÉCANISMES MOLÉCULAIRES RESPONSABLES DE LA VARIABILITÉ FONCTIONNELLE DE L’AXE CORTICOTRPE

 

Stratégies de recherche

Les caractères étudiés ici sont dits complexes ou quantitatifs car leur variation, le plus souvent continue dans une population, est sous le contrôle d’un grand nombre de facteurs génétiques dont l’importance individuelle reste le plus souvent faible et qui interagissent avec les caractéristiques de l’environnement ; ils s’opposent aux caractères qualitatifs, sous contrôle d’un nombre restreint de gènes, qui présentent une distribution discontinue dans la population (couleur de la robe par exemple). La connaissance approfondie de la variation et de ses mécanismes physiopathologiques permet, dans certains cas, de poser des hypothèses sur les gènes dont le polymorphisme peut expliquer la variabilité fonctionnelle. C’est ainsi que la comparaison de deux souches de rats (Brown Norway, BN, et Fischer 344, F344) nous a permis de cibler le récepteur minéralocorticoïde (MR) comme potentiellement responsable des différences observées dans le fonctionnement de l’axe corticotrope (Marissal-Arvy et al. 1999, 2000). Le clonage et le séquençage du gène correspondant (Nr3c2) a permis de détecter chez le BN une mutation augmentant l’efficacité du récepteur (Marissal-Arvy et al. 2004). Cette approche ‘gène candidat’ n’est cependant pas toujours possible et ne rend compte que d’une partie de la variabilité du caractère.

Une approche alternative, dite de locus à effet quantitatif, ne fait aucune hypothèse sur les mécanismes responsables de la variation du caractère. Elle est basée sur la mise en évidence d’une liaison, dans une population ségrégreante (F2 ou back-cross le plus souvent) obtenue par croisements entre deux types génétiques divergents pour les caractères étudiés, entre la valeur du caractère et des marqueurs moléculaires polymorphes régulièrement répartis sur l’ensemble du génome (marqueurs microsatellites ou polymorphismes mononucléotidiques le plus souvent). L’existence d’une liaison significative entre un marqueur moléculaire et le caractère étudié suggère qu’il existe, dans la région chromosomique où ce marqueur est localisé, un (ou des) gènes porteurs de variabilité fonctionnelle. Il s’agira alors de rechercher ce (ou ces) gène(s) dans cette région.

Figure 2 : Schéma de la cartographie de locus de trait quantitatif (QTL = quantitative trait locus). Chaque figurine de porc représente le phénotype d’un animal, les deux barres parallèles représentent une paire théorique de chromosomes. La couleur blanche indique les régions chromosomiques héritées de l’ancêtre Large White et la couleur noire celles héritées de l’ancêtre Meishan, l’origine de chaque région chromosomique étant déterminée par analyse de marqueurs microsatellites polymorphes. Un locus de trait quantitatif (en rouge) est une région chromosomique dont le polymorphisme moléculaire (marqueurs) est significativement corrélé au phénotype considéré.

On peut noter, dès à présent, que ces deux stratégies (analyse de gènes candidats et recherche de locus à effet quantitatif), ne sont pas mutuellement exclusives mais bien au contraire complémentaires. Dans l’exemple des rats BN/F344, cité plus haut, la cartographie de locus à effet quantitatif, dans une population F2 issue de ces deux souches, a permis de confirmer la liaison entre le polymorphisme du gène Nr3c2 et divers phénotypes en rapport avec l’activité minéralocorticoïde de la corticostérone (hormone glucocorticoïde chez le rat), de montrer que ce polymorphisme n’expliquait qu’une partie de la variabilité mesurée dans la population F2, de mettre en évidence l’influence de plusieurs autres locus sur les caractères étudiés (Marissal-Arvy et al. 2004).

 

Cartographie de QTL chez les porcs Large White / Meishan

Nous avons appliqué cette stratégie pour l’étude des différences entre porcs Large White (maigre, faible niveau de sécrétion du cortisol) et Meishan (gras, haut niveau de sécrétion du cortisol) (Désautés et al. 1997, 1999). Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un important programme (" PORQTL ") visant à mettre en évidence les principaux QTL à l’origine des différences génétiques importantes existant entre ces races (Bidanel et al. 2001 ; Milan et al. 2002). Des animaux issus du croisement F2 (186 mâles et 182 femelles) ont été étudiés dans un test d’environnement nouveau comme situation stressante. Un prélèvement sanguin a été réalisé avant et après le test pour le dosage de l’ACTH et du cortisol. Le typage génétique a été réalisé avec 137 marqueurs polymorphes couvrant l’ensemble du génome. Plusieurs QTL ont été mis en évidence par l’analyse de liaison. Parmi ceux-ci, un QTL majeur a été mis en évidence à l’extrémité du bras long du chromosome 7 (vers 150 cM), expliquant 20% de la variance de la cortisolémie après le stress et 7% de la variance de la cortisolémie mesurée avant le test dans la population F2, les allèles Meishan étant associés à des cortisolémies plus élevées et partiellement dominants sur les allèles Large White (Désautés et al. 2002). Un QTL influençant la quantité de muscle a été mis en évidence dans cette même région, les allèles ‘Meishan’ étant associés à une plus faible quantité de muscle et ces caractéristiques pourraient être liées aux variations fonctionnelles de l’axe corticotrope. Par contre, le principal QTL influençant l’adiposité est localisé dans une région plus proximale du même chromosome (vers 65 cM) et paradoxalement, les allèles Meishan réduisent l’adiposité par rapport aux allèles Large White (Milan et al. 2002).

La comparaison des cartes génétiques publiées dans différentes espèces montrent que la partie terminale du bras long du chromosome 7 est orthologue de la région télomérique du bras long du chromosome 14 humain (Goureau et al. 2000). Dans cette région, a été cartographié le gène de la transcortine (ou CBG pour Corticosteroid binding globulin), une glycoprotéine transportant spécifiquement le cortisol dans le plasma (Billingsley et al. 1993). Il a été montré chez l’Homme que les variations des concentrations de transcortine sont un déterminant majeur des concentrations circulantes de cortisol (Bright & Darmaun, 1995). En conséquence, ce gène (nommé serpina6) devenait un excellent candidat, de position et de fonction, pour expliquer, au moins en partie, les différences de concentrations circulantes de cortisol entre porcs Meishan et Large White. De fait, nous avons montré d’importantes différences entre ces deux races, dans les concentrations circulantes de CBG (environ 3 fois plus élevées chez les porcs Meishan) et les concentrations d’ARNm dans le foie, site de synthèse de la protéine (Ousova et al. 2004 ; Guyonnet-Dupérat et al. 2006).

Nous avons alors recherché l’existence de polymorphismes dans la séquence codante du gène chez les animaux fondateurs de la population F2. Il est apparu une grande variabilité moléculaire de ce gène, puisque nous avons montré l’existence de 4 haplotypes du gène pour 12 chromosomes Large White et 6 haplotypes pour 12 chromosomes Meishan, dont 4 mutations induisant des modifications d’acides aminés dans la structure de la protéine entre les deux races (Ousova et al. 2004). L’étude in vitro par transfection de ces différentes séquences du gène dans un système cellulaire d’expression a montré que certaines de ces mutations modifient l’expression de la protéine, données confirmées in vivo dans une population ségrégeante résultant d’un intercroisement avancé entre les deux races (Guyonnet-Dupérat et al. 2006). Ces polymorphismes sont également associés à des variations de composition de carcasse et de qualité de viande (Guyonnet-Dupérat et al. 2006 ; Geverink et al. 2006) et pourront être utilisés pour la sélection.

Ces expériences illustrent bien l’intégralité de la démarche QTL. Dans un premier temps, l’étude de liaison entre variabilité phénotypique et marqueurs moléculaires permet d’identifier des régions chromosomiques impliquées dans cette variabilité. L’examen de ces régions, facilité maintenant par le séquençage des génomes d’espèces de plus en plus nombreuses, permet, dans les cas les plus favorables tels que celui présenté ici, d’identifier des gènes candidats du fait de leur fonction en rapport avec le phénotype étudié. Il s’agit ensuite d’analyser le polymorphisme de ce gène et de comprendre enfin le rôle de ce gène et des polymorphismes mis en évidence, par analyse des mécanismes intermédiaires contribuant à la fonction analysée.

 

Analyse de mécanismes candidats par génomique différentielle

Trois grands processus sont source de variabilité du fonctionnement de l’axe corticotrope, la production de cortisol, essentiellement liée à la sensibilité du cortex surrénalien à l’ACTH (Hennessy et al. 1988), la biodisp onibilité de l’hormone, dépendante des mécanismes de transport (CBG par exemple) et de métabolisme (en particulier les deux enzymes 11β-hydroxystéroïde déhydrogénases qui assurent la navette entre cortisol et cortisone) et enfin, l’efficacité des mécanismes de transduction (récepteurs et voies de signalisation). On ne dispose pas toujours d’un gène candidat unique qui serait porteur de variabilité dans des mécanismes complexes comme la sensibilité du cortex surrénalien à l’ACTH ou l’efficacité des mécanismes de transduction. Pour analyser la variabilité de ces processus, on dispose maintenant d’outils efficaces permettant l’étude des différences d’expression des gènes dans un tissu et une condition expérimentale donnés (microréseaux). Les outils les plus récents disponibles pour les espèces dont le génome est complètement séquencé, permettent ainsi d’analyser l’expression de l’ensemble des gènes. Chez le Porc, nous utilisons des membranes permettant la quantification de l’expression de 9.000 gènes environ pour rechercher les différences d’expression des gènes dans les glandes surrénales de porcs Meishan et Large White dans les conditions basales ou après traitement par l’ACTH, afin d’analyser les réseaux moléculaires impliqués dans les différences de sensibilité à l’ACTH que nous avons montrées entre ces deux races (Désautés et al. 1999). Nous avons ainsi trouvé quelques dizaines de gènes différemment exprimés sous l’effet de l’ACTH, dont l’analyse moléculaire et fonctionnelle est en cours. La même stratégie est utilisée pour l’étude de la variabilité génétique des récepteurs du cortisol et de leurs voies de signalisation.

 

CONCLUSION

L’axe corticotrope est un système neuroendocrinien d’importance physiologique majeure impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques. Du fait de ses activités métaboliques, le cortisol augmente l’accumulation des graisses au détriment des protéines. L’hyperactivité corticotrope est donc a priori défavorable dans l’objectif de production de viande porcine. Cependant, le cortisol peut avoir d’autres effets favorables. C’est ainsi que la concentration circulante de cortisol à la naissance est le meilleur prédicteur connu de la survie du porcelet (Leenhouwers et al. 2002). L’hypoactivité corticotrope observée chez les races maigres, et qui peut résulter du processus de sélection, pourrait ainsi contribuer à une survie réduite des porcelets chez ces mêmes races. La connaissance des mécanismes moléculaires, responsables de la variabilité génétique de la composition de la carcasse et de l’activité corticotrope, devrait permettre à l’avenir une sélection beaucoup plus fine vers un phénotype idéal … qui reste à définir.

L’axe corticotrope est un système complexe dont le contrôle génétique est multiple. De nombreuses approches sont mises en œuvre pour détecter les bases moléculaires des variations fonctionnelles d’origine génétique à chaque niveau, production hormonale, biodisponibilité, action tissulaire. Pour comprendre l’impact de chaque polymorphisme sur le fonctionnement global de l’axe, et les interactions entre polymorphismes à différents niveaux de celui-ci, il est nécessaire d’appréhender le système dans son ensemble (génétique des systèmes), approche qui ne sera possible que par l’utilisation des outils de la modélisation des systèmes biologiques. La confrontation de ces résultats aux objectifs de sélection devrait permettre de cibler très précisément les polymorphismes à sélectionner.

 

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