Propos libres sur l’ouvrage « ETHIQUE DES RELATIONS HOMME-ANIMAL. POUR UNE JUSTE MESURE »

 

Ces propos ont été publiés dans l'annexe  "Quelques points de vue individuels d'académiciens" de l'ouvrage cité, rédigé par un groupe de travail composé de membres de l'Académie d'agriculture et de l'Académie vétérinaire et coordonné par Bernard Denis (Editions France Agricole, 2015).

 

 

 

Cet ouvrage arrive à point au moment où le débat sur les relations entre l’homme et les animaux prend une importance croissante dans notre société. Le point de vue des professionnels est important dans la perspective d’une évolution des méthodes de production des produits d’origine animale, plus respectueuses du bien-être des animaux et de l’environnement. Mes commentaires concernent uniquement le chapitre 2 sur l’éthique des relations homme-animal en élevage et en particulier sur la place du bien-être des animaux dans ces relations.

 

Toute démarche de progrès suppose qu’il soit fait d’abord un bilan de la situation le plus fidèle possible à la réalité. C’est peu dire que le bilan initial fait ici des « 50 dernières années de développements techniques et organisationnels spectaculaires » est partiel et partial. Il est indéniable que grâce aux progrès des sciences animales, la production et la productivité de l’élevage ont fait un bond extraordinaire. Il est tout aussi indéniable que les animaux ne sont pas les premiers bénéficiaires des progrès de productivité obtenus par un appauvrissement extrême de leur environnement, l’augmentation des densités, la claustration et les cases individuelles, et une sélection génétique qui, pendant trop longtemps, n’a pris en compte que les caractères strictement liés à la production avec une dégradation progressive des caractères fonctionnels que sont la reproduction, la qualité du système locomoteur, l’efficacité immunitaire par exemple, autant de facteurs qui conditionnent de façon importante le bien-être des animaux. Le modèle en place a eu besoin de béquilles pour tenir : antibiotiques, mutilations diverses, qui sont maintenant remises en cause au risque de déstabiliser le système. Ces dommages collatéraux ne sont pas évoqués dans l’introduction mais qualifiés dans le texte « d’assertions » et simplement listés dans un paragraphe de 14 lignes (§ 1212) lui-même intitulé « Le discours » [des « protecteurs » des animaux]. Autant dire que les auteurs les considèrent comme des allégations sans fondement. Il faut souligner ici que tous les qualificatifs de l’élevage qui pourraient avoir une connotation quelque peu négative (« intensif », « industriel », « moderne ») sont placés entre guillemets pour les garder à distance. Le diagnostic est porté, les nouvelles techniques d’élevage ont facilité le travail des éleveurs et le niveau de production « sans perturber le confort ni l’environnement de l’animal » (§ 111). Il est donc urgent de ne rien changer, ou éventuellement à la marge, et il suffira d’expliquer aux citoyens ces non-problèmes pour réconcilier la société avec l’élevage. « Il reste que réconcilier la société avec l'élevage est vivement souhaitable, ce qui passe par une information la plus objective possible. Certaines pratiques pourraient, dans ce contexte, être remises en cause ». Cette posture reflète une différence dans la grille de lecture des objectifs de l’élevage et du vécu des animaux entre les professionnels et le reste de la société, et il est peu probable que la réconciliation soit obtenue par des actions de communication unilatérales et condescendantes, mais qu’elle exigera de la part des professionnels, une écoute indispensable à la co-construction de l’élevage de demain.

 

Même si les auteurs affirment à plusieurs reprises que « l’animal doit bien entendu rester au centre des préoccupations éthiques », on ne lui demande pas souvent son avis et il n’est pas invité comme acteur du débat sur l’éthique de l’animal en élevage (§ 12). Les « protecteurs » des animaux et les éleveurs sont renvoyés dos à dos, les premiers se décrédibilisant par des discours souvent radicaux et les seconds se considérant garants du bien-être de leurs animaux. Il n’est pas juste d’écrire que l’intervention des « structures engagées dans la défense des animaux » est la plus récente parmi les différents acteurs impliqués (§ 111). Parmi ces « structures », l’Eurogroup for animals, qui fédère actuellement 46 organisations, a été créé en 1980 à l’initiative de la RSCPA britannique et a joué un rôle considérable dans la préparation des textes législatifs européens. C’est l’une des associations non-gouvernementales installées depuis le plus longtemps à Bruxelles. Quant aux éleveurs, personne ne peut contester leur intérêt pour le bien-être de leurs animaux. Au-delà de ce cliché, il est intéressant de regarder la situation des animaux de la façon la plus objective possible avec les récents outils d’évaluation et d’analyse, comme le protocole développé dans le contexte du projet européen Welfare Quality. Une étude épidémiologique récente dans 131 exploitations de bovins laitiers montre une situation plutôt contrastée (de Boyer des Roches et al. Point Vétérinaire 45:50-56, 2014). En outre, il y a peut-être un niveau d’acteurs dont l’importance n’est pas suffisamment prise en compte ici, ce sont les distributeurs et grandes chaînes de restauration (§ 1232 - Les consommateurs). En quelques années, ils ont pris une place de premier plan dans la prise en compte du bien-être des animaux dans les pratiques d’élevage, de transport et d’abattage. Ils impriment leur marque de façon particulièrement vigoureuse aux Etats-Unis, et même si le mouvement est plus discret en France et en Europe, ils montent en puissance très rapidement, avec la force dont savent faire preuve ces gros clients des productions animales quand il s’agit de faire marcher le business. Ils ne se contentent pas de « communication » et font appel à des organismes de certification qui s’appuient sur des critères objectifs.

 

Comme toujours quand il s’agit de définir un concept très large, il n’est pas facile de cerner le contenu sémantique de l’expression « bien-être animal » (§ 221). Dans ce contexte, il pourrait être intéressant de remplacer le concept théorique de « bien-être animal » par l’expression « bien-être des animaux » qui s’applique aux individus concernés et prend en compte le fait que le bien-être est une expérience individuelle. Bien qu’il ne soit pas encore d’usage courant, le terme de « bientraitance » est intéressant pour englober l’ensemble des actions visant à assurer le bien-être, la mise en œuvre des 5 libertés par exemple, le bien-être ne pouvant s’apprécier que du point de vue de l’animal, c’est la démarche Welfare Quality. Les travaux de recherche menés depuis de nombreuses années et les approches épidémiologiques plus récentes avec des grilles d’évaluation de type Welfare Quality nous permettent d’évaluer de façon de plus en plus objective et quantifiable le point de vue de l’animal, que nous pouvons ainsi confronter aux « allégations » ou aux exigences de changement plus ou moins bien fondées (§ 222). Ils sont à la base des démarches actuelles de certification, d’analyse de risque (§ 223, http://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/doc/2513.pdf) et d’intégration du bien-être des animaux dans le contexte de la durabilité de l’élevage (§ 224, Bonneau et al. Animal 8:2058–2068, 2014). Il est bon qu’à la fin de ce paragraphe les auteurs reconnaissent enfin (§ 23 – Réalité d’un problème éthique : points critiques) qu’il puisse exister quelques problèmes en élevage, auxquels on pourra éventuellement apporter une réponse éthique (§ III) et il est rassurant que soit rappelé « d’abord que la nécessité de prendre en compte le bien-être animal est une idée commune à tous les acteurs de la filière ».

 

Parmi les différentes pistes à explorer pour donner une « réponse éthique » aux « critiques générales formulées contre l’élevage », l’ouverture des élevages à la vision des citoyens-consommateurs, limitée ici à une « information sur la réalité de l’élevage » (§ 321), ne peut être que positive pour une meilleure compréhension réciproque. Cependant, cette démarche louable n’est peut-être pas prioritaire par rapport aux deux suivantes, « reconnaître que certaines pratiques ne respectent pas correctement le bien-être animal » et « corriger les pratiques … dans la mesure du possible », afin que la réalité du terrain ne soit pas trop éloignée de l’image qu’on souhaite en donner. Les exemples de remise en cause profonde de certains systèmes (gavage, élevage de dinde) ou pratiques (castration du porc) d’élevage développés dans l’annexe nous apportent une grande bouffée d’optimisme. Ils montrent qu’il est possible de réinventer des modes d’élevage alternatifs où toutes les parties prenantes, y compris les animaux, y trouvent leur compte. On a besoin de tous les professionnels pour inventer l’élevage de demain, mais ce n’est possible que s’il est fait un bilan fidèle à la réalité avec une remise en cause, chaque fois qu’il est nécessaire, des pratiques qui ont été développées dans un contexte différent avec des objectifs principaux de productivité qui doivent maintenant partager l’attention des professionnels avec de nouvelles contraintes environnementales et sociétales, parmi lesquelles le bien-être des animaux joue un rôle important.

 

 Pierre Mormede

 

 

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